Aveu du marquis de Locmaria, 1730

En 1730, Ollivier de La Boissière rend aveu au Roi des terres possédées dans le ressort de la cour royale de Morlaix par son pupille, Jean Marie François du Parc marquis de Locmaria et du Guerrand, seigneur de Bodister. Le marquis, né en 1708, est orphelin de père depuis 1709. Il meurt sans alliance à Paris en 1745 sans avoir vraiment fréquenté ses domaines dont il laissait la gestion à son lointain cousin et tuteur (cf. l’article de Louis Le Guennec sur le marquis de Guerrand).

Le cahier constitué pour cet aveu fait près de 200 pages grand format et compte plus de 1500 articles. Après avoir été présenté à la Chambre de la Réformation du domaine royal à Rennes,  il est rendu à la famille du Parc de Locmaria. Saisi à la Révolution, il est déposé aux Archives Départementales du Finistère, où il occupe actuellement la liasse 1E 846.

Cette transcription collaborative reste l’un de mes meilleurs souvenirs d’historien amateur.

En janvier 2003, j’ai effectué les photographies de ce document. Devant l’important travail de transcription qui se présentait, j’ai sollicité des bonnes volontés sur le forum service de Genweb 29. Mes attentes ont été largement récompensées puisque 7 transcripteurs m’ont rejoint dans cette aventure et ont effectué le plus gros du travail en 2 mois, réalisant même une partie des index pendant le printemps. Cette transcription collaborative reste l’un de mes meilleurs souvenirs d’historien amateur. C’était très artisanal. Ne disposant pas de connection ADSL, j’avais confié à l’un des transcripteurs les clichés gravées sur un CD-ROM. Il les envoyait par mail aux autres par grappes de quelques fichiers. Je recevais ensuite les textes, sous divers formats, et je les remettais en page. Chacun des transcripteurs a recu le texte entier, qui a aussi été imprimé et déposé dans la bibliothèque de l’antenne morlaisienne du Centre Généalogique du Finistère.

Avertissements au sujet du document

Il faut distinguer deux parties dans cet aveu. Ce qui concerne le domaine, au Ponthou et à Plouigneau, est constitué d’articles plus descriptifs. Ils contiennent les délimitations précises des terres et le détail des bâtiments. Les articles concernant le fief ne comportent que les noms du lieu, du propriétaire et du locataire.

Certains personnages cités sont nés à la fin du 16è siècle.

L’aveu n’a pas été dressé à la manière d’un prisage ; il n’y a pas eu d’enquête sur le terrain. C’est en fait une compilation des aveux rendus aux seigneurs de Locmaria. On dirait aujourd’hui que c’est du déclaratif. Ces aveux compilés peuvent donc être récents ou anciens. Certains personnages cités sont nés à la fin du 16è siècle. L’année 1730 doit donc être considérée comme une date butoir plutôt qu’une information temporelle précise.

Dans la mesure du possible, la transcription a tenté de respecter l’orthographe originelle. Néanmoins la ponctuation et l’accentuation ont été parfois modernisées pour une meilleure compréhension du texte.

Commentaires sur les extraits publiés ci-dessous

Le Ponthou, petit village entre Morlaix et Guingamp, posé au fond de la vallée du Douron, ne compte plus aujourd’hui que 166 habitants. Le prieuré du Ponthou aurait été fondé en 1214 par les comtes de Penthièvre et de Guingamp. Dans cet aveu de 1730, on découvre une ville « noble franche et libre de fouages » : plus de 40 maisons (dont quelques fermes et au moins une auberge, Le Lion d’or), les ruines d’un château (avec des douves), une place de 6000 m² pour les foires (3 par an, en mai, août et novembre), l’emplacement d’anciennes halles (occupé par des petites maisons, mais où le marché se tient le mardi), 2 moulins et un four banal. Le Ros-en-Justice, le long de la rivière à l’Ouest du bourg, devait abriter les poteaux de justice, utilisés pour les exécutions.

A leur origine, Le Ponthou et Morlaix n’étaient pas si différents.

En ce début de 18e siècle, Le Ponthou se trouve déjà sur le déclin et n’est plus que la relique du siège déserté d’une grande seigneurie médiévale. On peut toutefois encore déceler l’organisation originelle d’un bourg développé par des moines (église priorale) au pied d’un château dominant le croisement d’une route majeure et d’une rivière ayant fait un moment office de frontière. A leur origine, Le Ponthou et Morlaix n’étaient pas si différents. Au milieu du 19e siècle, le bourg est complètement réorganisé par le passage du chemin de fer. La construction d’un viaduc s’appuyant sur la colline du château en efface définitivement les ruines.

Le cadastre « napoléonien », dressé vers 1838 pour Le Ponthou, montre l’organisation du bourg avant la construction de la voie ferrée. Je n’ai pas regardé la matrice cadastrale, mais le nom des parcelles au sud du bourg pourrait nous en dire plus sur l’emplacement du château. Je parierais pour la parcelle 187, la nº34 pouvant être la place des foires. L’église n’est pas visible sur cette feuille, mais se trouve un peu au-dessus du D de « deuxième »

FEUILLE 1. (3 P 221/1), Archives départementale du Finistère
FEUILLE 1. (3 P 221/1), Archives départementale du Finistère

La description du manoir de Coatsao, en Plouigneau, est également intéressante. Elle présente un manoir typique avec tous ses attributs : un colombier, une chapelle (déjà ruinée), un portail, une tour, des murs, un verger, un four, un puit, une métairie, un bois de haute futaye (4.5 ha), un moulin avec étang et chaussée. On note aussi un « jardin a fil », signe de la culture du lin textile dans la région (pour les toiles de Morlaix, c’est le fil qui était lavé, et laissé à sécher en extérieur). Dans les dépendances du convenant Rivierou, on trouve une « maison a texier », qui hébergeait le métier a tisser, autre signe de la manufacture décentralisée de la toile. Le manoir n’est déja plus une résidence noble et la transition vers l’exploitation agricole est bien avancée. Les attributs nobles inutiles pour l’agriculture, et qui ne rapportent pas de rentes au seigneur, sont peu a peu laissés a l’abandon. Au Sud-Est du bois, sur la rive droite du Quillidien, se trouve un autre village nommé Coatsao Pell (pell = loin) avec son propre moulin. Les deux villages peuvent tirer leur nom du bois (le bois des saxons ou des anglais). Le bois est désigné sur les cartes récentes comme le Coat ar Ferté (le bois de la forteresse). On y trouve d’ailleurs une ancienne motte féodale, La Ferté, dont les ruines sont mentionnées dans l’aveu.

3 P 200/1, Section K 1 de Kermorvan. Archives départementales du Finistère
3 P 200/1, Section K 1 de Kermorvan. Archives départementales du Finistère

Sur le premier cadastre de Plouigneau, daté de 1837, on voit encore bien la distribution des lieux entre le manoir à l’Ouest, la métairie de Rivierou au Nord (qui doit tirer son nom, « les rivières », de la confluence entre le Quillidien et un ruisseau qui vient du village de Kerdilès), le moulin à l’Est avec son étang et la chaussée. L’étang a totalement disparu aujourd’hui, mais la chaussée subsiste. Le plan carré des bâtiments du manoir est typique, et bien visible sur le cadastre, en revanche, plus de trace du collombier. Une consultation de la matrice cadastrale pourrait dévoiler une parcelle dont le nom trahirait l’emplacement du collombier ou de la chapelle.

Quelques extraits intéressants

Domaine du Ponthou

etang-le-ponthou
L’étang du Ponthou, aujourd’hui

1er
L’emplacement du chateau du Ponthou. Situé au haut de la ville du Ponthou a presant demoly & ruiné contenant avec ses douves & fossés quarante huit cordes et demye cerné a l’oriant de l’eglise priorale du Ponthou, du midy de la place des marchés dudit Ponthou, de l’ocidant d’une rüe dudit Ponthou nommée la rüe de l’eglise au nord des maisons et terres de Françoise Huon et charles Le Goaracher

2
La ville du Ponthou noble franche et libre de fouages, guet & tous devoir roturiers avec tout ferme droit de seigneurie et juridiction haute basse et moyenne exercée par senechal, alloué, lieutenant procureurs, greffier et sergents, et autres ministres de justice avec privilège de seconde mennée en la cour royalle de Morlaix, et aussy justice patibulaire a potos, prerogatives chasses a touttes bettes ârets et filets, de laquelle ville la description suit,

3
La place des foires dudit Ponthou contenante en fond quatre vingt dix huit cordes et demie cernée au levant de l’eglise priorale dudit Ponthou, au midy des maisons et terres de convenant le Bastard au couchant de la rue de l’eglise & au nord de l’emplacement du chateau dudit Ponthou, avec droit de foires à estre tenües, l’une le premier jour de may, autre le jour et festes de saint Berthelemye au mois d’aoust, et l’autre le jour de la feste de saint Martin au mois de novembre, et de marchés a chaque jour de mardy avec le devoir de coutume sur les marchandises y vendües, icelle coutume tenüe en ferme par Charles Querou,

4
Le devoir de passage sur les marchandises passantes par la ditte ville du Ponthou tenüe en ferme par ledit Charles Querou

5
L’emplacement des halles dudit Ponthou avec Les petites maisons que l’on a fait batir en la place des dittes halles, (…)

6
Une étandue de terre appelle Ros an Justis contenante En fond cent trante six cordes, (…)

7
Autre etandue de terre pres la ditte ville du Ponthou contenante en fond deux cent quarante cordes nomme Ros an Ponthou, (…)

8
Autre issüe nommée Praden Queris contenante en fond quarante cordes (…),

9
Le moulin de la ditte seigneurie du Ponthou, et le moulin a tan avec roubs ecluses, bieds, chaussées, et conduite d’eau sittués au dit Ponthou ; Le moulin dudit Ponthou a trois estages couvert dardoises, et le moulin a tan couvert de genets, le fond et emplacement sous les dittes maisons, chaussées, ecluses, etang, & bieds jusques au moulin de Kervenniou et au pont de la rüe de leglise contenant quinze cordes, (…),

10
Le four Bannal de la ditte ville du Ponthou sittué sur la rue de l’eglise, consistant en maison a four, autre maison au bout vers le midy, avec leurs issües & deux jardins contenants en fond cinq cordes, (…), la portion dependante de la ditte maison a four du bois tailliff du Ponthou ayant ses fossés vers les chemins contenante en fond quatre cent cinquante cordes, (…).

Domaines du Ponthou, Coatsaoff et Bodister en la Paroisse de Plouigneau,

1
Le Manoir et mettairie noble de Coatsaoff sittué en la ditte paroisse de Plouigneau, Consistant un grand corps de logis, ancienne chapelle, autre corps de logis, portal, apanty, grange cour au devant dans laquelle il y a four, puys, murailles et mazieres, une tour, le jardin a fil, verger y joignant, vieux verger au dessus aire au devant la grange, le tout  contenant ensemble compris le deport au derriere de l’antienne mettairie et le courtil a chanvre cent traize cordes, le collombier et jardin du collombier contenant cinquantes neuff Cordes, un courtil apellé Le fernil contenant Quarante une cordes, Le bois de haute futaye joignant le jardin et vergers cy dessus et aux taillis et jaunayes cy apres contenant sept cent cinquante cordes, (…) Ledit manoir et mettairie noble de Coatsaoff et dependances tenus en ferme par Jan André,

2
Le moulin de la seigneurie de Coatsaoff sittué prés Le dit manoir, ditte paroisse de Plouigneau tenu a domaine congeable Pour ledit Seigneur avouant par Jan Silliou pour luy payer par chacun an et terme de Saint michel en Septembre de Rente et levée convenantiere, la Somme de Cent trante cinq livres, Ledit moulin Consistant en une maison et grand corps de Logis, petite soüe a pourceaux, Le fond Sous lesquels Edifices Contient cinq cordes, les Issues au devant dudit moulin Servantes de servitude Contenantes quatre cordes, petit Jardin de jouxte contenant deux cordes et demye, L’Etang au dessus dudit moulin contenant Compris sa chaussée cent soixante dix cordes, Lesdits moulin, jardin, Issues Et etang Cernés de tous endroits des terres de le ditte Seigneurie et Coatsaoff,

3
Une Maison sittuée prés Ledit moulin Coatsoaff Nouvellement construite et un pré au dessous de la chaussée de L’Etang dudit moulin et Coatsoaff Nommé prat Coat an feunteuniou Contenant quatre Cent Cordes, (…) tenu en ferme par Nicolas Pilven sous ledit Seigneur avouant pour luy payer par chacun an et terme de Saint michel en septembre La Somme de soixante Livres ;

4
Un lieu Noble nommé La mettairie de Coatsoaff autrement convenant le Rivierou sittué en la ditte paroisse aprés le dit manoir de Coatsoaff, consistant en une maison et Manalle principalle, maison a texier, Creche de jouxte, Soue a pourceaux, Cour et amur, maison a four, chambre de jouxte Sur Issüe, grange, Issues et amur, Gallerie Sur l’aire Contenant ensemble onze Cordes et trois piedz, (…) Tenus a domaine congéable Sous le dit Seigneur avouant par Jan Coatanlem ou ayant cause pour luy payer par chacun an et terme de Saint Michel en septembre de Rente et levée Convenantiere, quatre livres dix sols par argent, dix quartiers de froment mesure de morlaix et les corvées ordinaires, outre estre Sujet a la Cour dudit seigneur Et a suivre Le moulin de la ditte Seigneurie de Coatsaoff.

Une réflexion au sujet de « Aveu du marquis de Locmaria, 1730 »

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