Les 4 maisons nobles du bourg de Plougonven

Au coeur du bourg de Plougonven, paroisse au Sud-Est de Morlaix, existaient quatre maisons nobles aux noms étonnants dans cette région : Monrepos, Monplaisir, Mondésir et Monvouloir. Un échange sur la page facebook « Histoires de Morlaix » m’a conduit à m’y intéresser et à tenter de démêler l’histoire de ces quatre manoirs.

Louis Le Guennec est l’auteur qui présente le plus longuement ces maisons dans sa notice consacrée à la commune de Plougonven, publiée en 1922 aux éditions de Mouez Ar Vro (Morlaix). Cette monographie de 300 pages est disponible sur le site de la BNF (Gallica). Parmi les maisons nobles du bourg, il en cite quatre aux noms atypiques : Monrepos, Monplaisir, Mondésir et Monvouloir. Le Guennec s’est appuyé sur les archives de la paroisse, largement dépouillée par le père Malgorn, ainsi que sur les archives départementales du Finistère (série E familles, fonds de Kersauson/Brezal).

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Plougonven, au Sud-Est de Morlaix

Ces logis aux noms français pourraient avoir été des pieds-à-terre de seigneurs ruraux au centre du village de Plougonven. S’il n’est pas certain qu’ils aient tous été construits à la même époque par la même famille, sans doute faut-il voir un effet de mimétisme dans l’originalité de leurs noms. Le cadastre de 1838 permet approximativement de les situer.

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Extrait du cadastre de Plougonven, 1838, archives départementales du Finistère

Les seigneurs de Plougonven sous l’Ancien Régime

Au XVIe siècle, au point de vue féodal, la paroisse de Plougonven dépendait de la châtellenie de Bodister, qui était sans doute la dernière trace du pagus castelli, territoire des vicomtes de Léon à l’Est de la rivière de Morlaix, confondue avec une subdivision de l’évêché de Tréguier connue sous le nom de archidiaconé de Plougastel. C’est aujourd’hui le petit Trégor morlaisien. Trois grands vassaux de Bodister se partageaient la paroisse : les seigneurs de Kerloaguen, de Rosampoul et de Gaspern. La seigneurie de Rosampoul était surtout concentrée au Nord, autour de la chapelle de Saint-Eutrope. La plus grande partie du bourg dépendait de la seigneurie de Gaspern, dont les détenteurs disputaient les places d’honneurs de l’église aux seigneurs de Bodister.

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Eglise de Plougonven (Par GO69 — Travail personnel, CC BY-SA 3.0)

En 1543, lors de la montre (revue militaire à laquelle assistent tous les détenteurs de biens nobles), Plougonven compte 60 terres nobles, dont une dizaine de manoirs : Rosampoul, Garspern, La Tour, Kerloaguen, Cosquer, Lesguen, Guernarc’hant, Quistillic, Keraudren, Penarstang, Moguérou, Goasvalé et Mezédern. La plus importante propriétaire de la paroisse est Adelice de Kerloaguen, mariée à Jérôme de Carné. Ils sont seigneurs de Rosampoul et de Garspern. La seigneurie de Kerloaguen est entre les mains de François de Goudelin. François de Garspern ne possède plus la terre de ses ancêtres, mais encore le manoir de Cosquer. Dans ce document de 1543, il n’y a aucune mention de nos quatre maisons nobles du bourg. Elles n’existent donc sans doute pas encore, en tout cas pas sous leur nom actuel comme bien noble (c’est-à-dire exonéré de certaines taxes).

Avant 1568, la seigneurie de Kerloguen est passée entre les mains de Rolland Le Cozic, une famille qui aura une grande importance au siècle suivant.

Vers 1600, les Carné, ruinés par leur rôle pendant les guerres de religion (voir mon article sur le siège de Morlaix en 1594) vendent la seigneurie de Garspern à Yves Le Bervet du Parc, qui sera maire de Morlaix en 1615.

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Gisant d’Yves Le Bervet du Parc, oeuvre de Roland Doré (vers 1640), conservé au musée départemental breton (Quimper). Photo Mikaël Le Gouareguer

En 1609, Rosampoul est vendu par les Carné à Jean Le Levyer de Kerochiou, ancien ligueur. Celui-ci est impliqué dans le soulèvement du duc de Vendôme en 1628 et meurt à la Bastille. En 1630, la seigneurie de Rosampoul est saisie et rachetée par François Le Cozic, seigneur de Kerloaguen.

En 1643, tous les droits féodaux et honorifiques de Bodister en Plougonven sont acquis par Yves Le Cozic, fils du seigneur de Kerloaguen. Il devient alors l’homme le plus important de la paroisse, détenteur des meilleurs emplacements dans l’église (chapelles familiales, vitraux, bancs, tombeaux). En 1650, le même Yves Le Cozic échange son fief de Rosampoul contre celui de Garspern. Pour compenser la perte des prééminences paroissiale attachées à la terre de Garspern, la chapelle Saint-Eutrope est érigée en trêve (sous-paroisse), ce qui permet aux nouveaux seigneurs de Rosampoul de garder la première place dans leur église.

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Reconstitution en modèle réduit du château de Rosampoul, à Saint-Eutrope, rasé depuis 1987. Crédit Le Telegramme

Au XVIIe siècle, les deux principales seigneuries de Plougonven sont donc réunies entre les mains de la famille Le Cozic, puis passent par alliance aux Kersauson et aux Tinténiac. Le marquis Hyacinthe de Tinténiac (1753-1832) émigre pendant la Révolution, ses biens sont donc saisis. Il s’agit des deux manoirs de Kerloaguen et de Gaspern, avec plus de 40 fermes, maisons au bourg, moulins et bois. Plougonven connait alors une grande redistribution foncière.

Monplaisir

En 1560, François de La Tour, fils du seigneur de Penarstang, chanoine de Tréguier, archidiacre de Plougastel, recteur de Plougonven, passe un contrat d’afféagement (vente contre paiement d’une taxe annuelle au seigneur) avec Robert de Garspern, seigneur du Cosquer, pour le courtil dit Liorz-al-Leur, près du cimetière de Plougonven, où il fait bâtir un pavillon qu’il baptise Monplaisir. Le courtil (jardin) était alors cerné « de la chapelle des morts de l’église…, du chemin menant d’icelle église à la maison Guyon Beaumanoir et à Kergoazou, d’autre chemin menant de la croix dite Croix an Gravate au manoir de Mesédern, et de la place appelée Placen an Bolot » (la place de la balle).

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Extrait du cadastre de Plougonven, 1838

Le recteur réside alors au manoir de la Tour et il est probable que cette construction lui ait semblé plus commode de par sa proximité avec l’église dont il est le pasteur. Monplaisir fut donc initialement une sorte de presbytère. Dans les années qui suivent, François de La Tour accumule les charges qui l’éloignent de Plougonven. En 1574, il devient évêque de Quimper. En 1583, après des difficultés avec ses ouailles, il est transféré au siège de Tréguier. Il meurt en 1590 dans son manoir de Penarstang, en Plougonven.

Après la mort de François de la Tour, il semble que la famille Gaspern ait récupéré Monplaisir. En 1609, Claude de Gaspern, sieur de Meshir, demeurant à Plusquellec, afferme Monplaisir à noble homme Pierre Morin et demoiselle Gilette Coatlestrémeur, sieur et dame de la Morignière. En 1626, Perceval de Gaspern, frère du sieur de Meshir, meurt de la peste ; il est dit sieur de Monplaisir.

En 1644, Yves de Penfeunteniou et sa femme Françoise de Gaspern, sieur et dame du Cosquer, cèdent à François du Parc de Kergadou, seigneur de Gaspern, en échange du lieu du Cosquer-Dolzic, en Plougonven, leur « manoir de Monplaisir, avec ses cour et jardin, situé entre le cimetière et la place du Martray« . Monplaisir est alors tenu en ferme par Yves Prigent, sieur de la Fontaine. L’échange concerne aussi une autre maison adjacente, « en forme de tourel, nommée Mondésir« , tenue à domaine congéable (voir glossaire) par Bastien Raoul, jardinier.

En 1691, le locataire de Monplaisir est Yves Riou, hôtelier et débitant de vin. En 1695, François Morice y tient cabaret. En 1707, Jacquette Pistouy, jeune veuve d’un notaire royal, devient locataire de Monplaisir. Elle décède à Plougonven en juin 1737.

En juillet 1764, l’intendant du marquis de Kersauson passe contrat avec l’évêque de Saint-Brieuc pour la fondation au bourg de Plougonven d’une maison et école de religieuses du Saint-Esprit (instruction des jeunes filles). Il s’agit de Monplaisir. A la Révolution, il n’y a là que trois religieuses, dans une maison « à peine suffisante » pour elle. L’établissement est fermé puis vendu comme bien national en mai 1793 à Joseph Raoul, aubergiste.

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Arrière de l’ancien manoir de Monplaisir, Plougonven

Mondésir

En 1650, la famille Le Cozic récupère les maisons de Monplaisir et Mondésir lors de l’échange des seigneuries de Rosampoul et de Gaspern avec François du Parc. En 1695, Françoise Le Cozic, douairière de Kersauson, accorde à sa demoiselle de compagnie Jacquette Pistouy, en faveur de son prochain mariage avec Raoul Guégot, sieur de Traoulen, notaire royal, la jouissance gratuite de la Maison Ronde (c’est-à-dire Mondésir), durant quatre ans. La dame de Kersauson sera d’ailleurs la marraine de leurs deux premiers enfants vivants, en février et en décembre 1798.

En 1707, le marquis de Kersauson déplace Jacquette Pistouy, veuve, dans la maison de Monplaisir, et réserve Mondésir à son frère Prigent-Joseph-André de Kersauson. Celui-ci n’en a pas profité longtemps, car en 1716 la veuve de Guy Raoul et ses enfants font une déclaration du « convenant noble de Mondésir » qui consiste en une grande maison dite « la Salle », une autre maison dite « la maison neuve », et la « maison ronde », « construite en ovale au bas de la cour de Monplaisir, et où il y a chambres et grenier en grande indigence de réparations, avec un degré en pierres de taille ».

En 1734 et en 1750, Mondésir est tenu à titre de domaine congéable sous le marquis de Kersauson par Maître Raoul et son fils, notaires royaux et greffiers de la cour de Gaspern.

En février 1792, la commune de Plougonven cherche une maison du bourg pour y installer une prison. Leur choix se porte sur la « Maison Ronde », vieux pavillon en tourelle adossé au cimetière, et appartenant au marquis de Tinténiac.

A la Révolution, Mondésir est saisi parmi les biens du marquis de Tinténiac et acheté, sans la maison ronde, par Nicolas Dubois. En 1796, Joseph Raoul, déjà propriétaire de Monplaisir, achète la tour voisine. En novembre 1799, un poste de surveillance doit être installé dans chaque commune ; à Plougonven, le corps-de-garde est installé dans la « Maison-Ronde ». Cette tour s’est écroulée au XIXe siècle.

Monrepos

Le pavillon de Mon Repos, apparaît dans l’histoire en 1657. A l’invitation de leur évêque, le clergé de Plougonven décide par un acte du 27 septembre 1657, de « s’assembler dans le pavillon de Mon Repos, demeure ordinaire de M. le Curé de cette paroisse ». Le Guennec indique qu’il n’a pas découvert ses fondateurs, mais qu’il se trouvait à l’Est de l’église. Dans les actes, Messire François Le Roux de Launay, recteur de Plougonven de 1697 à 1749, habite « son manoir noble de Monrepos ».

Le 1er novembre 1792, le corps municipal délibère sur une dette de leur ancien recteur, Kerneau, déporté. Le presbytère neuf, occupant la maison de Mon Repos est exigée comme garantie. Il s’agirait d’y installer le curé constitutionnel, mais finalement les officiers municipaux y renoncent. En avril 1798, le bureau communal est transféré au presbytère neuf de Mon Repos, appartenant au ci-devant recteur Kerneau, et dont une seul pièce est occupée par une Soeur Blanche. En mai 1803, l’abbé Kerneau, de retour à Plougonven, cède à la commune contre une rente viagère la maison de « Mon Repos, avec sa cour close, écurie, maison à four et jardin muré, pour servir de presbytère, l’ancien ayant été vendu nationalement en 1794 au citoyen Caquelard.« 

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Extrait du cadastre de Plougonven (Archives départemtales du Finistère, 1838), on y distingue les anciens bâtiments de Monrepos (dans la zone bleue)

D’après le père Malgorn, cité par Le Guennec, « c’était une maison Louis XIII, précédée d’un portail que flanquait à droite un pavillon carré portant sur son angle extérieur une jolie échauguette ronde, en poivrière, reposant sur des corbelets à triple saillie. Cette tourelle s’écroula de vétusté le 11 février 1877, et le reste de la construction étant fort délabré, on en profita pour rebâtir le presbytère tout entier, au milieu de l’enclos, dont les vieux murs moussus subsistent encore, avec quelques embrasures de fenêtres maçonnées indiquant la situation du vieux Monrepos. »

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Photo aérienne de Monrepos, aujourd’hui

Cette construction nouvelle située sur la même parcelle, mais à l’opposé de l’ancien bâti, dont il ne reste quasiment rien, est bien reconnaissable aujourd’hui, avec une belle tour et un grand terrain dans lequel se voient encore des traces de l’ancien « jardin de curé ». Cette architecture vient sans doute rappeler les caractéristiques de l’ancien manoir de Monrepos.

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L’ancien presbytère de Plougonven, construit à la fin du XIXe siècle (photo Alain Péligat)

Monvouloir

La maison de Monvouloir, au Sud-Est de l’église, n’apparaît dans les textes qu’en 1711, lors de sa vente par Rolland du Val et Ursule Coroller, sieur et dame du Val, à François Toulgoat, armurier. Il s’agit alors d’une « petite tenue et héritage noble dite la maison de Monvouloir, petit corps de logis en forme de pavillon ayant un côté plus élevé que l’autre, vieille mazière ruinée, pans de murs où il y a huisserie de taille, cour, jardin, autre maison nommée la Boutique, etc.« 

En 1759, Jean-Marie Raoul, notaire, achète Monvouloir. Sa veuve et son deuxième mari Philippe Rogé, rendent aveu en 1788 au seigneur de Gaspern, pour les « droits de Monvouloir ».

En 1921, Le Guennec évoque, à l’entrée du quartier dit la Rue et de l’ancien chemin de Lannéanou, une vieille maison du XVIe siècle avec tronçon de portail. Je ne sais pas si cette maison existe encore aujourd’hui, mais plusieurs bâtiments au Sud-Est de l’église pourraient sans doute correspondre à cette description.

Une fondation commune des quatre maisons ?

Finalement, on ne connaît avec certitude qu’un des fondateurs de l’une des quatre maisons : François de La Tour, qui construit Monplaisir en 1560. On sait que Mondésir n’a d’abord été qu’une tour dans la cour de Monplaisir. Une fondation commune est donc très probable. Monvouloir aussi pourrait avoir été construit par le prélat. C’est une maison du XVIe siècle et à l’époque, désir, vouloir et plaisir sont synonymes (le bon plaisir du roi). Quant à Monrepos, c’était certes un presbytère, mais au style architectural Louis XIII, donc a priori datant d’après la mort de François de La Tour. En revanche, ce nom pourrait avoir été celui d’un bâtiment plus ancien, construit en même temps que les trois autres maisons.

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Les situations initiales de Monplaisir (1), Mondésir (2), Monrepos (3) et Monvouloir (4), autour de l’enclos paroissial (en orange)

L’hypothèse d’une construction simultanée de ces quatre maisons, entourant toutes l’enclos paroissial, par François de La Tour, alors recteur de Plougonven, est donc séduisante et plausible ; il en avait les moyens financiers. Cette hypothèse ne repose malheureusement sur aucune preuve historique. Les autres grandes familles de l’époque, citées au début de cet article, ne peuvent donc pas être complètement exclues. Il pourrait aussi s’agir d’un de leurs vassaux, issus de branches cadettes ou de petits nobles qui ne possédaient qu’un manoir isolé avec sa chapelle, son moulin et quelques fermes aux alentours.  Ceux-là aussi auraient pu avoir besoin d’un pied-à-terre au bourg. La renommée du prélat, l’un des rares enfants de la paroisse à avoir porté la mitre épiscopale, fondateur d’une maison au nom si original, pourrait donc simplement avoir inspiré d’autres constructeurs dans le bourg.

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3 réflexions au sujet de « Les 4 maisons nobles du bourg de Plougonven »

  1. Il devait y en avoir à Morlaix car ils mourraient rue des Fontaines.

    Relevé Etat-Civil sépulture – 09/06/1785 – Morlaix – Saint-Melaine (Rue Des Fontaines)

    LE BECHEC DU REST Michel
    âgé de 3 ans
    Père : Ignace
    Mère : Jeanne LAVENANT

    Notes : BECHET DU REST dans l’acte

    Identifiant CGF de l’acte : D-1785-2915102-70971-21895 – (Relevé ‘BMS <=1792')

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