Les vieilles murailles de Morlaix en 1678

En 1678, la ville de Morlaix fait l’objet d’une description détaillée par le pouvoir royal, désireux de faire valoir ses droits face aux habitants qui, au fil du temps, ont fini par empiéter sur le domaine royal. Les murailles de la vieille ville close sont alors partiellement debout et il est encore possible d’en établir un tracé assez précis.

Au 11ème siècle, les premiers documents historiques attestant de l’existence de Morlaix, décrivent la fondation des 3 prieurés par les vicomtes de Léon, dans le but d’organiser les faubourgs autour de son château de « Mons Relaxus ». Le centre de la ville, bien protégé par les rivières Queffleut et Jarlot, n’est évoqué dans les textes que deux siècles plus tard. Les limites de cet espace originel sont probablement le témoignage le plus ancien de la naissance de Morlaix. Sur les flancs du « Mons Relaxus », une ville close de 3 hectares se niche au coeur de cet ensemble urbain de plus en plus vaste (65 hectares à la fin du 17ème siècle, 850 aujourd’hui).

Ville-close d'après le plan de 1782. En rouge, la muraille disparue depuis 1678
Ville-close de Morlaix d’après le plan de 1782. En rouge, les éléments disparus depuis 1678

La date de la construction des remparts de Morlaix n’est pas aisée à déterminer. Leur existence semble attestée dès 1187 lorsque Henri II Plantagenêt prend la ville. Ensuite, une ceinture plus robuste est sans doute construite par les ducs de Bretagne au 15ème siècle. D’après Joseph Daumesnil, en 1505, le capitaine de la ville, François des Fossés, aurait fait « travailler par ordre de la reine Anne aux fortifications du château de Morlaix et fit construire le bastion qui flanquait la poterne de Keffleut et qui conserva son nom« . La précision de cette date doit être néanmoins relativisée car cela ferait du château de Morlaix le premier en dehors d’Italie à être doté de bastions, plus de 30 ans avant le reste de l’Europe. D’après Albert Le Grand, les deux bastions « qui regardent vers la ville » auraient été construits sur les ordres du gouverneur de Morlaix entre 1588 et 1589.

En 1594, l’armée du Maréchal d’Aumont n’a aucun mal à traverser les faubourgs pour s’approcher des remparts de la ville close, mais il doit faire forcer un pont-levis pour y entrer. Sous le règne de Henri IV, le gouverneur de la ville restaure les murailles et le château, mais ses successeurs cessent de les entretenir. L’accès par la mer est bien protégé par le château du Taureau et la richesse se concentre dorénavant dans les faubourgs (j’y reviendrai). Ce sont les limites du Morlaix des origines que je me propose de vous révéler aujourd’hui, telles qu’elles étaient le 29 et le 30 juillet 1678.

Si le tracé des vieux remparts de Morlaix ne fait plus vraiment débat, la question de leur état reste délicate. Les descriptions sont rares et peu précises à ce sujet. Aujourd’hui, à part la portion encore visible à proximité du cinéma de Morlaix, Le Rialto, il ne reste plus rien des 700 mètres de murailles entourant la ville-close au Moyen-Age. Le texte de 1678 est donc précieux: il est certes court (3 pages) mais permet de connaître la taille des portes et l’emplacement des tours, déjà presque toutes disparues lors du premier cadastre de 1833.

Développement de Morlaix
La ville close de Morlaix et ses faubourgs. Cette carte permet d’avoir une vision d’ensemble du développement de la ville.

Revenons tout d’abord sur les circonstances de cet examen. Dans le système féodal, les vassaux doivent fournir régulièrement à leur seigneur une déclaration (un aveu) de ce qu’ils tiennent d’eux. De temps en temps, les seigneurs souhaitent confronter ces aveux avec les titres de propriété et la réalité du terrain. Ce contrôle est nommé « réformation ».

En 1660, Colbert convainc le roi de faire réaliser une réformation du domaine royal en Bretagne. Le processus est long à mettre en place, d’autant qu’il n’a jamais été réalisé depuis le rattachement du duché à la couronne en 1542. Ce bornage permet de vérifier ce qui aurait pu « être usurpé » et éventuellement d’en demander une réparation pécuniaire. La réformation du domaine royal de Morlaix commence seulement en 1677. Les vassaux du roi font réaliser leurs aveux  puis l’année suivante, ces déclarations sont vérifiées sur le terrain et confrontées aux derniers documents officiels disponibles. Pour Morlaix, il s’agit de la réformation du domaine ducal de 1455. A noter, la réformation de 1678 est si lourde et coûteuse (les estimateurs ne travaillent pas pour rien) qu’elle reste la seule du genre à un tel niveau. Il faudra attendre la fin du 18ème siècle, 1782 plus exactement, pour disposer d’un plan précis de la ville de Morlaix, préfiguration du cadastre de 1833.

Couverture du plan de Morlaix de 1782, AD29, 7 Fi 186
Couverture du plan de Morlaix de 1782, AD29, 7 Fi 186

Ainsi, pendant 2 jours de l’été 1678, 4 hommes font physiquement fait le tour de la ville close de Morlaix. L’équipe est dirigée par François Bouin, seigneur de Rains, maître ordinaire à la chambre des comptes de Bretagne (Nantes), commissaire en charge de la réformation du domaine royal de Morlaix et Lanmeur. La chambre des comptes de Bretagne reçoit en effet les aveux et détient les actes de propriété du Roi.

François Bouin s’est adjoint 2 experts, Estienne de La Bouessière (père d’Olivier) et Michel Cillart, spécialistes locaux des prises de mesure et des estimations de biens. Ce trio est complété par le procureur du roi auprès de la cour royale de Morlaix, Clete Gourcun, sieur de Saint-Spé, en tant que représentant des intérêts royaux.

L’objectif de cette inspection est de mesurer l’espace occupé par les anciennes murailles et les portes. Les experts commencent par la porte Notre-Dame, derrière l’hôtel de ville et tournent autour de Morlaix dans le sens des aiguilles d’une montre. Ils mesurent le diamètre des tours, l’ouverture des portes, la longueur entre les portes et listent systématiquement les propriétaires des maisons limitrophes. Les unités utilisées sont le pied (1 pied = 32,5 cm) et la corde (1 corde = 60 mètres carrés). J’ai modernisé l’orthographe, la ponctuation et certains termes pour une meilleure compréhension du texte.

Croquis de Morlaix en 1636
La ville-close de Morlaix vers 1636. Le Nord (la mer) est à droite sur ce plan.

Sur le croquis ci-avant, dit de Dubuisson-Aubenay, daté de 1636, on distingue la plupart des lieux cités dans le « mesurage » de 1678. Depuis la porte marquée F (porte de Notre Dame), le circuit passe par les portes E (de l’hospital), D (de la prison), C (de St-Mathieu en 1636, St-Yves en 1678), longe le château et passe derrière la collégiale Notre Dame (B) jusqu’à la porte G (de Bouret) avant de revenir au point de départ. Ce circuit est encore plus clair sur une carte récente.

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Ville-close en 1678 et parcours du mesurage. Les passages (portes) décrits sont en jaune, les tours en rouge. Au niveau de Porte de Bourret, il y a une grande et une petite porte à proximité. De même, les tours de la prison et Saint-Yves sont des portes en forme de tour.

Le compte-rendu du mesurage est conservé aux archives départementales de Loire-Atlantique, dans le fonds de la chambre des Comptes de Bretagne (liasse B688). Il s’agit de 2 grandes feuilles de papier cousues, sur lesquelles les mêmes priseurs ont aussi reporté la liste des maisons avec avancées du quai de Tréguier (cf. mon article sur le sujet). Après un paragraphe introductif dans lequel les 4 hommes sont présentés, est reproduite la liste des propriétaires dont les biens joignent le tracé des remparts. Le travail est interrompu par la nuit le 29 juillet et reprend le lendemain matin.

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Pour mieux présenter ce document, j’ai divisé le tracé du rempart en 5 portions, séparées par les 5 principales portes de la ville. Pour chaque portion, vous trouverez le tracé de la muraille sur une carte moderne, la transcription du texte de 1678, une courte analyse du document et quelques commentaires personnels. Pour aider la compréhension, j’ai ajouté des reproductions du plan de 1782 et du cadastre de 1833, ainsi que quelques-unes des illustrations disponibles. Pour le plan de 1782, je me suis permis de colorer les extraits choisis, afin de mieux faire ressortir les rivières et les bâtiments.

Vous pourrez aussi découvrir quelques photos de la maquette de Morlaix vers 1600, visible à l’hôtel de ville. C’est le fruit des efforts d’Yvon Tallec qui a travaillé il y a une dizaine d’années à partir des sources disponibles et notamment du grand tableau de Victor Surel, exposé dans la salle des mariages et dont j’ai choisi un extrait comme bandeau de ce blog. Parfois, le texte de 1678 montre des incohérences avec cette maquette qui n’en perd pas pour autant de sa valeur pédagogique.

De la porte de Notre-Dame à celle de l’hôpital

S’étant certainement retrouvés à la maison de ville, François Bouin et son équipe démarrent leur périple à proximité, à la porte de Notre-Dame, en longeant les remparts jusqu’à la porte de l’hôpital. Après une tour d’angle, le rempart tourne vers le Sud et remonte le cours canalisé de la rivière Jarlot.

Oriot-Toulgoet

Transcription du texte de 1678 (chaque alinéa correspond à un paragraphe du document)

  • « Laquelle muraille a de long depuis la porte de Notre Dame en l’endroit de la maison du sieur Jacques Boudin, jusqu’à une tour appartenant à la dame douairière du Runiou Oriot et enfants, 40 pieds et d’épaisseur 6,5 pieds. »
  • « La dite tour a de circonférence (rotondité) sur la rivière Jarleau 51 pieds. »
  • « Depuis la dite tour jusqu’au pont de l’hôpital en l’endroit de la maison et cour de la dite dame du Runiou, la dite muraille contient de long 108 pieds. »
  • « La porte du dit pont de l’hôpital a d’ouverture 7,5 pieds avec une petite sentinelle au dessus à présent ruinée. »

Analyse et commentaire

Deux propriétés seulement se partagent les 199 pieds de remparts (65 mètres) entre ces deux portes : celle de Jacques Boudin faisant face à l’hôtel de ville et celle des Oriot du Runiou. Entre les deux, une large tour marque l’angle du rempart. Parfaitement visible sur le croquis de 1636, elle est absente du plan de 1782.

La propriété des Oriot est aujourd’hui occupée par l’hôtel de l’Europe. Cet endroit a fait l’objet d’un très beau livre de Marthe Le Clech en 2009 (Morlaix 1647-2009, de l’hôtel des Oriot au restaurant de l’Europe).

La porte de l’hôpital permet l’entrée dans la ville-close depuis le faubourg St-Melaine. Elle mesure cependant moins de 2,5 mètres de large, véritable goulot d’étranglement encore visible sur le plan de 1782. C’est pourtant l’un des points de passage de la route entre Rennes et Brest alors que la rue d’Aiguillon n’existe pas encore, ni la place de Viarmes. Ces deux espaces ne seront ouverts qu’après l’incendie de 1731. Pendant plusieurs jours, cet incendie dévorera l’hôpital, beaucoup de magasins, de maisons. Il est cependant circonscrit à un côté de la rivière: il est probable que la fermeture du pont-levis et la présence de la rivière protégèrent la ville-close des flammes.

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De la porte de l’hôpital à la celle de la prison

En 1678, la porte de l’hôpital est flanquée d’une tour, aussi connue sous le nom de tour d’Argent, dont nous disposons quelques représentations, puisqu’elle n’a été démolie qu’au 19ème siècle. Dans cette portion de remparts, la rangée de maisons, dont l’avant donne dans la Grande Rue, correspond aujourd’hui à la rue des lavoirs.


Hôpital-Prison

Transcription du texte de 1678

  • « La tour dont jouissent à présent le sieur Toulgoet et consorts a de circonférence (rotondité) sur la dite rivière 45 pieds. »
  • « La muraille en l’endroit de la maison du dit sieur Toulgoet contient de long 23 pieds. »
  • « En l’endroit de la maison d’Amice Tribara 16,5 pieds. »
  • « La veuve du sieur Plassart 18 pieds. »
  • « La venelle d’entre la dite Plassart et le sieur de Kerdaniel Corbet, à présent bouchée, contient 7 pieds sur la rivière. »
  • « La dite muraille en l’endroit de la maison du dit sieur de Kerdaniel Corbet a de long 25 pieds. »
  • « Le sieur de Kerridec Rigollé 12 pieds. »
  • « La demoiselle douairière du Rocher Etiamble 20 pieds. »
  • « Le sieur de Boisallain Jegou 15,5 pieds. »
  • « Le sieur Louis Le Maigre 18,5 pieds. »
  • « Le sieur de Partenay 21 pieds, la dite muraille ayant d’épaisseur 6,5 pieds. »
  • « Le sieur de Kerlors Rigollé 26 pieds. »
  • « Le sieur de La Brosse Allain, 17 pieds. »
  • « Le sieur de Keridec Rigollé, 15 pieds. »
  • « Pierre Moysan 14 pieds. »
  • « Le sieur de Kerezellec Huon, 18 pieds. »
  • « Le sieur de Kerlech Cottonec, 18 pieds. »
  • « En l’endroit de la mazière appartenant aux héritiers du feu sieur de Portzblanc Le Barz, 16 pieds. »
  • « Autre mazière au sieur des Aulnay Cossu et consorts 15,5 pieds. »
  • « L’auditoire a de long 51 pieds. »
  • « La tour de la prison a de diamètre 33 pieds, muraille comprises. »
  • « L’escalier pour y monter a aussi de diamètre 10 pieds, ses murailles comprises. »

Analyse et commentaire

La tour d’Argent devrait son nom à la frappe de monnaie ducale qui y aurait été réalisée au 15ème siècle.

A une trentaine de mètres de la porte, une petite venelle conduisait à la rivière. Elle est décrite comme bouchée en 1678, mais figure ouverte sur le plan de 1782. Aujourd’hui, son emplacement est encadré par 2 contreforts. Cet accès permettait peut-être l’accès à la rive du Jarlot depuis la place du Pavé. Les maisons de la Grande Rue disposaient en plus d’un sous-sol au niveau de la rivière, probablement inondable, comme le montre le plan de coupe du 14 Grand’Rue, maison privée, qui fait l’objet d’un magnifique travail de mise en valeur.

En 1678, il n’y a pas d’espace libre entre les dernières maisons et l’auditoire. La rue de l’auditoire n’a été percée qu’au cours siècle suivant et poursuivie d’un pont sur le Jarlot permettant un premier accès d’une telle largeur au centre-ville, encore fermé par des portes étroites. Ce chantier a probablement été contemporain de la destruction de la muraille sur cette portion pour créer une très longue rangée de lavoirs, déjà mentionnés sur le plan de 1782. Une plaque de granite conservée au bout de la rue semble dater ce chantier de l’année 1766, sous le maire Charles Sermensan.

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Plaque rue des Lavoirs (photo Pays de Morlaix).

Premier bâtiment constituant une brèche dans le rempart, construit au-dessus de la rivière, l’auditoire de la cour royal de Morlaix est décrit en 1678 comme s’il faisait parti de la muraille. Certaines sources le donnent construit au début du 17ème siècle, mais on ne connait pas d’illustration permettant de le dater, ni de savoir s’il était doté d’éléments défensifs.

Attenant à l’auditoire se trouvait une tour-porte dans laquelle étaient emprisonnés les accusés en attente de procès. A la fin du 15ème siècle, selon Daumesnil, cette porte s’appelait « Pont-Borgne ». Une partie de ce bâtiment en mauvais état s’écroula en 1791. A cet emplacement, en 1910 sera construit le Grand Bazar (les “Morlaisiennes”), le premier grand magasin de Morlaix.

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De la tour de la prison à la porte Saint-Yves

Cette portion du rempart longe la rivière Jarlot sur quelques mètres, puis repart vers l’Ouest et monte progressivement vers le château, séparant la ville-close du faubourg St-Mathieu.

Prison-St-Yves

Transcription du texte de 1678

  • « En l’endroit de la maison du sieur de Pré de Saigle, la dite muraille a de long 12 pieds. »
  • « La damoiselle du parc Bourguignon, 18 pieds. »
  • « Les héritiers de défunt sieur de Mesansquer Cudennec, 17 pieds. »
  • « Le seigneur marquis de Goezbriand 16 pieds. »
  • « Yves Croquillec 15 pieds »
  • « Roberde Purl 13 pieds »
  • « Les héritiers du sieur de Lesanauts Quintin, 18 pieds »
  • « Le sieur de Kerho Morice, 17 pieds »
  • « Le sieur de Penemon Le Roux, 14 pieds »
  • « Le sieur de Kermeur Sallaun, 12 pieds »
  • « Le sieur de Kersco Tredern, 23 pieds »
  • « Depuis la maison du dit Tredern jusqu’à une tour qui a autrefois servi de prison la muraille toute ruinée a de long 48 pieds. »
  • « La dite tour à présent en ruine a de diamètre 25,5 pieds. »
  • « La muraille en l’endroit de la maison d’Alexandre Thepault contient de long 22 pieds. »
  • « Le sieur de Launay Chesse 13 pieds. »
  • « En l’endroit de la chapelle de St Jacques 18,5 pieds. »
  • « Le sieur de Saulnay Cossu 16,5 pieds. »
  • « Le sieur de Kerigonnan Mittern 17 pieds. »
  • « En l’endroit de la maison et jardin du sieur de Kerdanet Nouel la dite muraille contient de long 43 pieds. »
  • « La tour de St Yves appartenant à Marguerite Geffroy et consorts a de long 64 pieds. »

Analyse et commentaire

Après la porte de la prison, 11 maisons se pressent en 1678 entre les halles et la muraille. Cette rangée se termine au niveau du coude de la rivière, déviée par une butte, ‘dosenn’ en breton, qui donna son nom à la place du Dossen. A cet endroit, le rempart est en ruine sur une quinzaine de mètres et se poursuit par une tour d’angle, elle-aussi en ruine. Le plan de 1782 montre cet espace, encore non construit, qui devait permettre un accès à la rivière pour les marchands des halles toutes proches. Avant l’effondrement du rempart, il s’agissait donc d’une impasse donnant sur l’ancienne prison, bref un coin mal famé de la ville, au sens propre.

Après la tour d’angle, le rempart perd la protection de la rivière mais longe une douve sèche jusqu’au château. Ce fossé est visible sur le croquis de 1636 et un bâtiment tout en longueur y est visible sur le plan de 1782.

Appuyée sur 6 mètres de la muraille, se trouvait la chapelle St-Jacques. Celle-ci est mentionnée en 1505 par la marquise de Forget qui, ne pouvant partir en pèlerinage à Compostelle, se contenta de donner 10 sous « à la chapelle de monsieur saint Jacques en Morlaix ». Cette chapelle est utilisée sous la Ligue (1589-1594) pour les réunions du Conseil de la Sainte Union qui dirige alors la ville. Elle est réparée en 1659 puis en 1705, sans doute parce qu’elle sert parfois aux réunions du consulat (tribunal de commerce). Abandonnée définitivement, elle est en ruine dès 1747 et sera définitivement démolie en 1789. En 1956, au cours de travaux de restauration, quelques éléments de la chapelle furent retrouvés : des gisants en pierre, un âtre, des portions de mur (conservés en place), et des statues de saint Christophe et saint Clément actuellement au musée (selon Le Télégramme du vendredi 16 novembre 2007).

Les 2 grosses tours qui protègent la porte Saint-Yves sont détruites en 1785 (NIÈRES, Claude. Les villes de Bretagne au XVIIIe siècle. Nouvelle édition [en ligne], Presses universitaires de Rennes, 2004 (Disponible sur Internet). La grosse tour visible en 1782 à l’avant de la porte laisse penser à un ajout du 16ème siècle pour protéger l’ancienne entrée contre les premières pièces d’artillerie.

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De la porte Saint-Yves à la porte de Bourret

Cette partie des murailles est la seule qui conserve encore une portion observable, dans le chemin de l’hospice. Ce morceau de rempart est d’ailleurs inscrit aux monuments historiques depuis 1996.

Capture d’écran 2016-06-01 à 13.17.01

Transcription du texte de 1678

  • « Depuis la dite tour (St-Yves) jusqu’au chateau la dite muraille pour la plupart ruinée contient de long 70 pieds. »
  • « La muraille du chateau contient de long depuis la dite dernière muraille jusqu’à l’oeuvre de Notre Dame du Mur 80 cordes compris les faces des bastions, orillons et courtines, les fossés non compris. »
  • « La muraille de l’oeuvre du dit Le Mur contient depuis celle du chateau jusqu’à la maison du sieur des Bains Champoury 140 pieds. »
  • « En l’endroit de la dite maison du sieur des Bains Champoury qui joint l’église collégiale de Notre Dame du Mur, la dite muraille a de long par dehors 20,5 pieds dont il y a 8,5 pieds sous couverture. »
  • « La porte qui est sur la venelle conduisant du pavé au Spernen a d’ouverture 3 pieds. »
  • « La dite muraille en l’endroit de la maison du sieur Marin Chaperon a de long 69 pieds. »
  • « La porte du Pont de St-Martin ou Bouret a d’ouverture 9 pieds. »

Analyse et commentaire

Après la tour St-Yves, la portion du rempart qui rejoint le château est déjà partiellement ruinée en 1678. L’escalier du château suit encore aujourd’hui le tracé de la muraille jusqu’au square du château. Le mur devait s’arrêter sous la pointe du bastion à orillon (explications plus bas) que l’on distingue sur le croquis de 1636. La longueur mesurée en 1678 (22,5 mètres) permet ainsi de connaître précisément l’emplacement de ce bastion, déjà totalement ruiné en 1782. Reportée sur une carte moderne, cela place la pointe du bastion dans la dernière volée de marches de l’escalier du château.

Les estimateurs ne mesurent pas la muraille le long de la citadelle mais préfèrent définir une zone de 4800 mètres carrés entre les bastions, en fournissant des détails qui confirment le croquis de 1636 (orillons). Le rempart ne reprend qu’à la pointe du bastion suivant, dont le tracé en triangle est bien visible sur le plan de 1782 (jardin de M. Chaperon). Ces deux emplacements du rempart, aux pointes des bastions, semblent confirmer l’antériorité de la muraille sur l’ajout des bastions autour du vieux château.

Murailles du château sur le plan de 1636
Murailles du château sur le plan de 1636. On distingue à gauche un bastion à orillons (éléments arrondis formant comme des oreilles à la base du bastion).

En quittant la citadelle, le rempart longe la fabrique (l’oeuvre) de Notre-Dame du Mur jusqu’au pied de la collégiale. Certaines sources prétendent que cette portion permettait de rejoindre l’église depuis le château. Les derniers mètres couverts, aboutissant dans une sorte de chapelle latérale visible sur le plan de 1782, semblent accréditer cette hypothèse. D’ailleurs, le duc Jean II, fondateur de la collégiale en 1295, est aussi réputé avoir reconstruit les murailles de la ville. Son changement d’alliance au profit de la France, contre l’Angleterre, pourrait en être la cause. En tout cas, les travaux de l’église ne se terminent qu’en 1468, époque plus proche du style architectural de la belle portion de rempart encore visible aujourd’hui. Il est possible que la grande qualité du parement de ce mur fut eu aussi une question de prestige ; la superposition collégiale-muraille se découvre dans son ensemble à l’arrivée en bas de la rue de Bourret, avant de passer la porte du même nom.

Au pied de cette muraille subsiste la dernière porte de la ville-close de Morlaix, qui puisse encore être fermée aujourd’hui. A partir du pavé, une petite venelle permettait de rejoindre le chemin remontant le Queffleut vers le village du Spernen. En 1678, il n’est pas encore possible de passer directement du pont de Bourret vers ce chemin, la rivière longeant directement le rempart. En 1738, le maire Joseph Daumesnil fait construire un pont en dur devant la porte de Bourret et l’élargit sans doute suffisamment pour inclure la poterne du Spernen. Une plaque encore visible en bas de la rue de l’hospice maintient le souvenir de son inauguration (voir photo ci-dessous).

Cette portion de muraille se termine à la porte de Bourret, de moins de 3 mètres d’ouverture, qui donne accès au Pavé. Une lithographie du 19ème siècle nous la montre vue depuis l’extérieur, avant sa destruction en 1854, comme une simple ouverture dans le rempart, surplombée par quelques mâchicoulis.

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De la porte de Bourret à la porte Notre-Dame

Cette dernière portion du rempart est mesurée le deuxième jour, le commissaire et ses acolytes s’étant arrêtés pour la nuit en arrivant au pont de Bourret. A cet endroit, la muraille longe la rivière Queffleut jusqu’à son confluence avec le Jarlot.

Bourret - ND

Transcription du texte de 1678

  • « La dite muraille contient de long en l’endroit de la maison du sieur de Bussé Ferrière 54 pieds. »
  • « Marie Hamon et consorts 10 pieds. »
  • « Les héritiers de Hervé Le Scour 24,5 pieds. »
  • « La dite muraille en l’endroit de la maison du sieur Jean Baptiste Le Gendre du bout au couchant contenant de long 10,5 pieds. »
  • « Une petite tour joignant la dite maison a de diamètre 26 pieds muraille en entier comprise dont les 3/4 donnant sur le réservoir du moulin au duc. »
  • « Depuis la dite tour jusqu’à celle de Notre Dame la dite muraille a en l’endroit de la maison du dit Le Gendre 29 pieds de long. »
  • « Laquelle tour de Notre Dame a de face vers la maison de ville 22,5 pieds. »

Analyse et commentaire

Après la porte de Bourret, la muraille est partagée entre 4 propriétaires sur une trentaine de mètres. Ici aussi, une petite tour marque l’angle du rempart, qui repart vers l’Est, sur une dizaine de mètres, pour rejoindre la porte Notre-Dame.

D’après le plan de 1782, la porte Notre-Dame semble être une tour carrée, peut-être d’un modèle similaire à celle de Bourret. Elle n’est plus visible sur le cadastre de 1833.

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Sur le croquis de 1636, là où elle est visible, la muraille est continue. A première vue, le texte de 1678 peut sembler flou à ce sujet. Ainsi, la muraille est seulement mentionnée dans une partie des paragraphes « en l’endroit de la maison de » et son épaisseur n’est donnée que deux fois avant et après la porte de l’Hôpital (6,5 pieds, soit un peu plus de 2 mètres). Cependant, lorsque le mur est en ruine, cet état de fait est clairement exprimé (avant l’ancienne tour prison et après la porte St-Yves, c’est-à-dire moins de 50 mètres). En revanche, sur le plan de 1782, seules certaines portions de murailles sont encore présentes (dessinées en noir).

Contrairement aux écrits de certains auteurs qui ont évoqué une « démilitarisation » rapide de la ville sous Henri IV, le processus de destruction des remparts de Morlaix apparaît comme très lent. Il commence bien au cours du 17ème siècle par l’abandon progressif de certaines portions tombées en ruine mais il se poursuit jusqu’au 19ème siècle. Selon Claude NIERES (Les villes de Bretagne au XVIIIe siècle. Nouvelle édition [en ligne], Presses universitaires de Rennes, 2004, Disponible sur Internet) : « à Morlaix, la communauté dépensa de 1598 à 1684, plus de 45 000 Livres pour des murailles qui ne servaient en rien. Les États demandèrent en octobre 1578, puis encore en 1580, que le Roi propriétaire d’une grande partie des fortifications urbaines paie au moins les frais d’entretien (…) Leur revendication pour aussi légitime qu’elle paraisse, oubliait que les souverains avaient accordé aux villes bretonnes le droit de lever des octrois justement pour faire face non seulement à des frais d’entretien mais aussi quelquefois, à l’amélioration des fortifications urbaines. Ainsi, les bourgeois de Morlaix avaient payé le château du Taureau. » Les remparts de Morlaix semblent donc avoir été entretenus au 17ème siècle, contre l’avis et aux dépends des bourgeois qui parviendront à s’en débarrasser morceau par morceau au siècle suivant.

Seule subsiste aujourd’hui l’une des seules parties ayant une autre utilité que défensive : celle de la rue de l’hospice qui empêche l’écroulement d’un terrain sur une rue passante.

Merci de votre lecture attentive. Si vous voulez découvrir les vestiges des vieilles murailles de Morlaix, je ne peux que vous conseillez de suivre un des greeters du Pays de Morlaix. C’est gratuit.

Maquette Y. Tallec
Les greeters de Morlaix devant la maquette d’Yvon Tallec.

PS : si par chance Yvon Tallec vous fait l’honneur de vous expliquer sa maquette, soyez aimables d’attendre la fin avant de lui faire remarquer que la tour d’angle du rempart derrière l’hôtel de ville ne pouvait pas être carrée, puisqu’elle avait « 51 pieds de rotondité sur la rivière » en 1678.

3 réflexions au sujet de « Les vieilles murailles de Morlaix en 1678 »

  1. […] Une couleuvrine est retirée du château en 1627 pour être envoyée au siège de La Rochelle (voir mon article sur 1627). En février 1636, ce sont des hommes de cette garnison qui donnent l’alerte lors de l’incendie au couvent des Calvairiennes. A la même période, le croquis de Morlaix attribué à Dubuisson-Aubenay présente très distinctement une citadelle avec ses cinq bastions et un vieux château sans pointes en son centre. A la fin des années 1670, le château, définitivement ruiné, est vendu à un particulier, mais on y distingue encore sur un demi-hectare, côté ville, « les faces des bastions, orillons et courtines » (voir mon article sur les vieilles murailles de Morlaix en 1678). […]

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